Parce que le constat est évident que nous n’avons pas à l’heure actuelle de souveraineté monétaire effective, mais que plus de 60 ans après les indépendances, il est légitime que les États ouest-africains, notamment francophones, aspirent à avoir une indépendance monétaire réelle.
Est-ce qu’ils y aspirent justement, est-ce que l’on voit une volonté politique au sein des États de la Cédéao ?
Depuis un certain nombre d’années, le débat est très fort sur l’avenir du franc CFA au niveau des société civiles africaines. La volonté est manifeste : au niveau du secteur privé tout dépend. L’ambiguïté demeure au niveau des politiques où effectivement l’on ne sait pas trop quelle est la position commune.
Et du côté français ?
Du côté français, il y a eu les annonces faites par le président Emmanuel Macron à Abidjan le 21 décembre 2019, qui disait que finalement, le franc CFA allait être remplacé par l’éco. Mais ce à quoi nous avons assisté depuis lors, c’est un semblant de réforme, c’est-à-dire qu’on garde le mécanisme actuel, on toilette un peu, mais tous les éléments problématiques du franc CFA demeurent. On a l’impression qu’au niveau français, on veut désamorcer la crise qui monte du point de vue des sociétés civiles, mais qu’on veut au final faire semblant de changer les choses, alors que fondamentalement, le cœur du système est maintenu.
Depuis ces annonces du 21 décembre 2019, est-ce qu’il y a des étapes qui ont quand même été franchies ?
Oui, au niveau français, l’accord de coopération monétaire entre la France et l’Union monétaire ouest-africaine a été ratifié, mais au niveau africain, il y a une timidité qui pose problème, parce qu’en dehors de la Côte d’Ivoire, qui est dans son processus de ratification, les autres États ne se précipitent pas.
Si on comprend bien, il n’y a pas encore beaucoup d’étapes qui ont été franchies. Existe-il une feuille de route pour les prochaines étapes avec des échéances ?
Oui, il y a deux feuilles de route. Il y a la feuille de route qui provient des états généraux de l’éco, que l’Université de Lomé a organisés au mois de mai dernier, sur ce que pourrait être le bon éco, donc l’éco à 15. Nous avons clairement opté pour une monnaie commune et non pas une monnaie unique, parce que les divergences structurelles sont trop fortes à l’heure actuelle.
Et puis, il y a la feuille de route de la Cédéao elle-même, qui ne veut pas assumer clairement un horizon, puisque on a des reports successifs. Et là, ce que l’on nous dit, c’est que ça va se faire en 2027, et il y a un vrai enjeu de crédibilité de nos États par rapport au respect des annonces qui sont faites.
Dans votre livre, vous donnez des axes, des outils, des moyens pour atteindre cet objectif de souveraineté monétaire. Pouvez-vous essayer de nous résumer quels seraient les grands axes ?
Il y a quatre éléments qui nous paraissent fondamentaux. D’abord, l’objectif, pourquoi nous faisons tout ça, c’est parce que nous voulons transformer structurellement les économies ouest-africaines pour qu’elles créent des emplois pour nos jeunes. Ensuite, quel est le principe qui est à la base, c’est le principe de la solidarité. Il faut qu’on mutualise nos réserves de change d’une part, et qu’on accepte un peu de fédéralisme budgétaire d’autre part. Et ensuite, quel est le moyen par lequel nous arrivons à tout cela, c’est la mise en place d’une monnaie commune : l’éco. Et enfin, quatrième élément, nous définissons un corridor dans lequel les monnaies actuelles pourront flotter autour de la monnaie pivot qu’est l’éco.
Nous reprenons en fait un héritage d’indépendance que nous voulons faire aboutir. C’est une urgence eu égard à la démographie africaine qui est une démographie très dynamique.
Quel est le rapport entre la démographie et l’éco ?
Quand vous avez une population dont la taille double tous les 25 ans, vous êtes obligé de créer de l’activité, de créer des emplois et de générer des revenus. Et donc, vous avez l’obligation d’avoir une monnaie qui soit au service du financement de l’économie et donc de sa transformation structurelle. Le pragmatisme doit être au cœur des politiques économiques du continent.
Si vous aviez un conseil à donner aux dirigeants africains, quelle est l’urgence pour avancer dans cette mise en place de l’éco ?
L’urgence est de ne pas sous-estimer la volonté d’émancipation de la jeunesse africaine. Si nous ne faisons pas les choses par éthique, faisons-les par intérêt bien compris, parce qu’on ne pourra pas garder ce système ad vitam aeternam, ce n’est absolument pas possible.
Source: rfi.fr